remis le 6 mars 2002
à la suite de ma comparution
devant le Panel des citoyens,
le jeudi 21 février 2002
Le samedi 17 novembre 2001, une trentaine de groupes dont Global Democracy Ottawa et le Comité Anti-ZLÉA de l’Outaouais, dont je suis membre, ont organisé une marche sur le thème « Pour la paix et la justice globale ». Plus de 2 000 personnes y participaient pour exprimer leur profond désaccord avec les politiques du G20 et des grandes institutions internationales – Banque mondiale et Fonds Monétaire international.
Je jouais le rôle d’animatrice pour la partie en français avec Jamie Kneen, pour la partie en anglais. Tour à tour, ont pris la parole : Sharon Moon, ministre de la First United; Soren Ambrose, du groupe américain 50 Years is Enough; Dale Clark, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et membre de NoWar; les Raging Grannies; Carl Hétu, de Développement et paix; et un syndicaliste de Colombie. Voilà les personnes dangereuses qui justifiaient, semble-t-il, le déploiement d’une force policière masquée, armée jusqu’aux dents et accompagnée de chiens d’attaque!
Pour vous mettre dans l’esprit de cette marche pacifique, je vais vous lire le mot de bienvenue que j’ai adressé à la foule rassemblée aux Plaines Lebreton. [Note : Jamie Kneen a lu le même texte en anglais (ci-joint).] Je décrirai ensuite les actes de brutalité des policiers, actes inacceptables dans une démocratie.
MOT DE BIENVENUE - PLAINES LEBRETON
Bienvenue au nom de Global Democracy Ottawa qui a pris l’initiative, avec 30 groupes dont le Comité Anti-ZLÉA de l’Outaouais (CAZO) dont je suis membre, d’organiser l’événement d’aujourd’hui.
Nous voici réunis en tant que vaste mouvement d’opposition, aux diverses tendances, un mouvement qui unit ses forces pour dire non aux maîtres économiques, à ceux qui veulent que nous vivions :
Un autre monde est possible,
un monde de paix et de justice globale,
de mondialisation des solidarités!
Voilà le monde auquel nous aspirons, le monde pour lequel nous luttons, pour les générations présentes et futures!
Voilà l’esprit dans lequel nous marcherons ensemble aujourd’hui.
Vous avez maintenant une idée des raisons pour lesquelles nous avons organisé la manifestation pacifique du 17 novembre. Après les discours des personnes invitées, je me suis dirigée vers la rue avec mon coanimateur, Jamie Kneen. À ma surprise, j’ai vu que les policiers nous bloquaient le passage. Ils étaient disposés en rangs serrés en travers de la rue. J’ai demandé « Pourquoi nous bloquez-vous la route, c’est une marche pacifique, vous le savez! » Une policière m’a dit que nous n’avions qu’à passer. Entre chaque policier du cordon, il y avait à peine l’espace pour laisser passer une personne à la fois. Cette tactique, je l’ai compris plus tard, avait pour but de séparer la foule et d’isoler des individus pour que des policiers puissent les saisir.
Malgré cette tentative d’intimidation et de provocation des policiers, la foule est restée calme. Nous l’avons incitée à continuer de marcher. Quand nous sommes arrivés au coin de Booth et Wellington (ou Scott?), des policiers se sont dirigés vers une trentaine de jeunes vêtus de noir pour s’emparer d’eux. Je précise que ces jeunes n’avaient fait aucun acte répréhensible et manifestaient avec nous de manière tout à fait pacifique. Voyant l’action des policiers, je leur ai demandé pourquoi ils s’en prenaient à ces jeunes et je leur ai dit qu’ils n’avaient rien fait et manifestaient avec nous. J’ai aussi sorti mon téléphone cellulaire pour appeler notre groupe juridique bénévole pour le prévenir de l’attaque sans motif des policiers en leur précisant que la manifestation venait à peine de se mettre en branle. En même temps, je me suis interposée entre policiers et jeunes, avec l’aide de quelques autres personnes, surtout des femmes. Nous avons réussi à les faire battre en retraite. J’étais heureuse, parce qu’encore une fois, nous avions réussi à ne pas riposter à la provocation. J’ai appris que les policiers avaient tout de même arrêté deux jeunes.
Quelques rues plus loin, lorsque la foule a tourné de Laurier sur Bay, il y a eu une nouvelle attaque. Cette fois, les policiers ont ciblé 5 à 8 jeunes et se sont emparés d’eux. Ces jeunes n’avaient commis aucun geste menaçant envers les policiers, malgré la provocation, ni envers les manifestants, aucun geste contre la propriété. Je me suis de nouveau interposée. J’ai demandé aux policiers : « Que faites-vous? Pourquoi les arrêtez-vous? Ils n’ont rien fait, laissez-les tranquille! » Voyant que mes paroles n’avaient aucun effet, je me suis agrippée à l’un des jeunes près de moi. Je pensais que je pourrais empêcher son arrestation. Quelques secondes plus tard, j’étais précipitée sur le sol, face contre terre, menottée. Malgré le fait que je n’opposais aucune résistance, le policier qui me menottait m’a tellement rudoyée que j’ai eu un bleu gros comme la main pendant des semaines. Je lui disais : « Ok, ok, I’m not going anywhere! I can get up by myself! » Ce n’était pas la peine, il m’a levée par les menottes de plastique, ce qui est douloureux. Une fois debout, j’ai vu plusieurs jeunes menottés, assis par terre, l’air terrifié. Je leur ai dit de ne rien dire avant d’avoir pu parler à nos avocats. Je les ai rassurés en leur disant que notre équipe juridique savait qu’il y avait eu des arrestations. J’ai demandé aux policiers : « Quelle est mon accusation? » On m’a répondu « Obstruction – Entrave au travail d’un policier. » J’ai demandé si on allait me lire mes droits. Le policier s’est alors exécuté. Pour tous les autres jeunes, ce ne fut pas le cas.
Pendant que nous attendions, nous avons été filmés par un homme sans identification. Je lui demandé pour qui il filmait? Il ne m’a pas répondu. Lorsque les policiers nous ont mis dans le panier à salade, le responsable a demandé quelles étaient les accusations. Il notait les numéros inscrits en rouge sur nos mains ou nos bras. La réponse des jeunes ou des autres policiers : « Je ne sais pas », sauf pour moi. Au poste de police, j’ai compris qu’on avait ciblé les jeunes qui avaient des sacs à dos. C’est pas compliqué : arrêter le maximum de jeunes vêtus d’une certaine manière et fouiller leurs sacs à dos. Plus il y a de sacs, plus il y a de probabilité de trouver des choses que l’on pourra ensuite faire passer pour des armes.
En prison, les policiers ont employé toutes sortes de tactiques d’intimidation avec moi et les jeunes femmes avec lesquelles j’étais détenue. Quand j’ai demandé combien temps nous serions détenues, une policière a répondu : « Une semaine. » La jeune femme avec qui je partageais la cellule a flanché, j’ai cru qu’elle allait s’évanouir. Je lui ai glissé à l’oreille : « Écoute-les pas, ils disent n’importe quoi pour nous faire peur. » Malgré nos demandes répétées, on nous a refusé l’accès à un téléphone. Un policier nous a même dit : « We don’t have the installations »! Toute la nuit, j’ai entendu un jeune homme réclamer de parler à son avocat, ce qu’on ne lui a pas permis. Après de nombreuses heures, on nous a dit que les « duty counsel » étaient là. J’ai pensé que nos avocats étaient enfin arrivés. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il s’agissait d’avocats de service et qu’en leur parlant, je venais de perdre le droit de consulter nos avocats.
Les conditions de détention laissaient beaucoup à désirer. Une jeune femme qui avait été arrosée à l’eau froide parce que ses vêtements sentaient le gaz, disaient les policiers, n’a reçu que des vêtements de papier. Elle était nu-pieds dans ses pantoufles en papier. J’avais des bas épais et deux chandails et j’avais froid! Alors, elle grelottait. Nous avons réclamé une couverture à plusieurs reprises, on nous a dit qu’il n’y en avait pas. À un moment donné, quelqu’un a sans doute pensé qu’il ne serait pas bon qu’elle fasse de l’hypothermie. On lui a alors donné une deuxième veste en papier. Je l’ai entendu trembler toute nuit.
Au petit matin, à 4 h 30, on nous a relâchées. On ne m’a pas dit que je devrais vérifier le contenu du sac contenant mes effets. J’étais trop contente de sortir, j’ai signé. Le policier qui s’occupait d’ouvrir la porte voulait me jeter à la rue avec mon sac, comme ça, malgré le froid. Il faisait moins quatre cette nuit-là. J’ai protesté : « Je ne sortirai pas sans mettre au moins mes bottes. » Il voulait aussi jeter dehors la jeune femme en vêtements de papier. J’ai dit qu’elle ne sortirait pas comme ça, que je resterais là s’ils ne la laissaient pas s’habiller. Heureusement, un deuxième policier à dit au premier, qu’elle était nue sous ces vêtements et qu’elle pouvait aller à la toilette se changer. Quand elle est revenue, j’ai entendu l’un des policiers lui lancer : « You’re getting off easy this time, no charges, but if we ever see you in another demonstration, you won’t be so lucky! »
Je n’ai pas beaucoup d’illusions sur
les résultats des audiences de ce Panel qui n’a pas de pouvoir juridique,
malgré tout le respect que j’ai pour ses membres. J’ai quand même
tenu à comparaître devant le Panel pour réaffirmer
le droit à l’expression pacifique de notre dissidence. Pour redire
haut et fort que les policiers ne sont pas au-dessus de la loi. Pour prévenir
la population que des actes abusifs comme ceux commis par les policiers
le 17 novembre dernier la privent de facto de son droit démocratique
à la libre expression.
Nous continuons à exiger une enquête complète pour faire la lumière sur les événements. Nous voulons entre autres des réponses aux questions suivantes :